La médiatisation de la guerre du Golfe







PPDA à Bagdad : TF1 aurait été manipulée ?


PPDA à Bagdad avec Saddam Hussein

Interview de Saddam Hussein par PPDA : un scoop controversé...

Le problème de la télévision, c'est l'image. Que ne ferait-on pas pour en disposer? Quiconque en offre, surtout si elles sont saignantes ou chargées d'émotion, trouvera preneur. Dans un cas, la dérive vient du fait que le marché regorge d'images (l'insurrection de Bucarest, ou le massacre de Tian'anmen ), dans l'autre, cette crise du Golfe, il y a pénurie. Alors n'importe quel ballet d'hélicoptères, n'importe quel lancement de missiles, n'importe quelle séance d'entraînement de commando fera l'affaire. Et durant la guerre du Golfe, des milliers de journalistes travaillant pour des centaines d'agences de presse, de quotidiens, de magazines, de radios ou de chaînes de télévision à travers le monde, se seraient damnés pour avoir un scoop qu'aucun autre média occidental ne pût avoir…

Prenez TF1 et le scoop de PPDA. Rien qu'en France, ils étaient plus de 300 à avoir déposé leur candidature auprès de l'ambassade d'Irak à Paris pour avoir la primeur d'interviewer Saddam Hussein. Très vite, la réussite de PPDA est montée au nez de ses confrères. Et de Matignon, mais pour d'autres raisons.
Chose rare, le Premier ministre de l'époque, Michel Rocard, qui ne se mêle jamais des médias, est exceptionnellement sorti de ses gonds en ce mois d'août 1990, en regardant le J.T. de TF1. Il a en effet invité "les journalistes, particulièrement dans l'audiovisuel, à s'interroger sur leur rôle" dans la couverture des événements du Golfe, estimant que "si la liberté de la presse est l'honneur des démocraties, elle est aussi parfois le relais des dictatures."
Pour parler vrai, il a jugé trop conciliante l'interview du Ministre irakien de l'Information sur TF1, et choquant le face-à-face dramatique organisé par La Cinq entre la mère d'un ressortissant français retenu à Bagdad et l'ambassadeur d'Irak à Paris. Sous prétexte d'informer, les médias seraient manipulés. Et à leur tour manipulateurs d'opinion.
Les ponts avec la tutelle étatique sont coupés depuis trop peu de temps en France (il faut attendre 1986 avec la naissance de La Cinq, puis 1987 avec la privatisation de TF1 pour voir une télévision vraiment indépendante en France) pour que les patrons de chaîne et les journalistes télé n'aient pas pris cette mise en garde pour une pure et simple ingérence du pouvoir. "Les hommes politiques ne connaissent rien à l'information !" enrage Michèle Cotta, directrice de l'Information sur TF1. "Ras-le-bol des donneurs de leçons" tranche Patrice Duhamel, directeur de la rédaction de La Cinq. "Le gouvernement a ses contraintes, nous avons les nôtres." Pas question d'autocritique donc. Désormais, les pros de l'info estiment qu'ils sont aujourd'hui assez grands pour savoir comment certains cherchent à les utiliser. Et ce, de Bagdad à Paris…
Samedi 25 août 1990, suite à un appel du 19 août d'un haut responsable de TF1 pour dénoncer les dangers de l'opération menée par PPDA et Bouygues, Michel Rocard accordait 45 minutes d'entretien au trio de TF1 Cotta-Carreyrou-PPDA pour leur faire part de sa position. "Dialogue de sourds, analyse Gérard Carreyrou, au cours duquel nous n'avons pris aucun engagement. Entre nous, s'il nous avait demandé - mais il ne l'a pas fait - de ne plus envoyer de journalistes à Bagdad, nous aurions dit non." La preuve : avec ou sans l'assentiment de Matignon, PPDA est reparti à Bagdad pour interviewer Saddam Hussein.

Mais à Matignon, on ne s'attendait pas à un tel barouf. On assure que "le Premier ministre connaît les contraintes de l'Audimat et de la recherche du scoop, précise l'un de ses proches. Pas de censure. Le Premier ministre n'a pas voulu intenter à la liberté de la presse. Il s'est contenté de tirer la sonnette d'alarme." En fait, depuis des années, Rocard a développé une analyse critique des dangers du système médiatique. C'est même une de ses marottes sur laquelle il revient longuement de manière argumentée dans Le cœur à l'ouvrage (Odile Jacob). Un réquisitoire impitoyable contre le manque de recul sur l'info à "show", la nécessité d'être toujours le premier, bref, la logique du scoop.

En obtenant son visa pour Bagdad, PPDA a bel et bien réalisé un scoop. Et TF1 avec lui. La chaîne de Bouygues (principal actionnaire de TF1) a d'ailleurs mis le paquet : liaison téléphonique avec PPDA dans le JT de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut, bandes annonces publicitaires tout au long de la journée… La pression monte mais c'est bon pour le moral des troupes ! Et pour l'audience. "Cessons de jouer les vierges effarouchées, s'insurge Gérard Carreyrou. Quand on a une exclusivité, on la valorise à l'antenne, c'est tout." Résultat implacable : 30 points d'audimat, 53,7% de parts de marché, plus de 12 millions de téléspectateurs (un record pour un mois d'août) et une interview revendue aux 4 coins du monde ! Les journaux de La Cinq et Antenne 2 ne se partageant plus qu'à peine 25% des téléspectateurs français… Beau score pour la Une ! Personne n'en disconviendra. Sauf que l'argument de l'audience n'apaise ni Rocard, ni Tasca qui confie :"Les dérapages de Timisoara avaient suscité des questions, mais les chaînes n'y ont toujours pas apporté de réponse. De nombreuses voix s'étaient élevées pour exiger un regain de précautions. Je suis, moi aussi, préoccupée par une dérive d'ensemble. Aucun sujet n'est tabou, mais il y a des méthodes à manipuler avec prudence. Outre la responsabilité individuelle des journalistes, il serait bon de s'interroger aussi sur la responsabilité rédactionnelle de l'éditeur." Tasca lâche une bombe : "Le sensationnalisme ne sert pas l'information". Mais la Ministre vise plus La Cinq que la Une.

Dans son journal de 13h du 20 août 1990, Jean-Pierre Pernaut était fier d'annoncer, par 2 fois, que PPDA était le "premier journaliste occidental" à pouvoir entrer en Irak depuis l'invasion du Koweït. Pourtant, les grandes chaînes américaines avaient des correspondants sur place depuis déjà plusieurs jours. Ted Koppel, de ABC, a même présenté son émission ABC Nightline depuis Bagdad. Et la venue à Bagdad de Dan Rather, de CBS, était prévue le lendemain.

PPDA a fait son boulot et nombreux, très nombreux même, sont ceux qui auraient aimé être à sa place. Le débat s'installe d'ailleurs dans la presse française. Le Figaro défend bec et ongles l'attitude de PPDA (mais le directeur du quotidien n'est autre que Franz-Olivier Giesbert, qui présentera dès octobre 1990 une "émission d'investigation" avec... PPDA) alors que Libération la condamne fermement. Mais pour le présentateur vedette de TF1, ces critiques viennent de "journalistes aux ordres de Matignon".

N'empêche qu'en cette période de guerre, les images sont des missiles qui font mouche à tous les coups. Or, depuis le début de la crise, les chaînes de télé, en France comme aux USA, en sont largement sevrées. Impossible, par exemple, de filmer la guerre diplomatique que se livrent les Etats. La Maison-Blanche a demandé à ses ambassades de ne laisser filtrer aucune information ni image. Du coup, n'ayant rien à se mettre sous le tube cathodique, les networks font pleurer les foules. Familles d'otages éplorées, adieux déchirants des parents de GI's, départ émouvant des réservistes mobilisés… Emotions garanties ! Ce qui a provoqué le même conflit qu'en France entre les autorités américaines et les médias. Le département d'Etat s'est même plaint de "l'irresponsabilité de certains journalistes" qui auraient téléphoné à la cellule de crise chargée de suivre les événements du Golfe et de renseigner les familles, sans dire qu'ils étaient journalistes.

La pénurie d'images est telle que ne subsistent que des images de navires qui appareillent, de soldats qui fourbissent leurs armes et d'avions de combat. Vision de guerre sans image de guerre ! Le bruit des bottes et la parade guerrière alimentent la surenchère médiatique. L'opinion publique s'inquiète, les gouvernements aussi. Saddam Hussein le sait bien, et tente de manier à sa guise les médias occidentaux. Son apparition médiatisée au milieu des enfants-otages en est la preuve. Son choix d'accréditer Ted Koppel (ABC), Dan Rather (CBS) puis PPDA (TF1), en est une autre. Le "Boucher de Bagdad" a su choisir les plus prestigieuses forces de frappe télévisuelles.

Mais les vedettes de la télé américaine ont-elles su mieux se sortir de ce piège que notre PPDA national? Rien n'est moins sûr, puisque ça a aussi secoué outre-Atlantique. Mais différemment. Les journaux américains ont notamment accusé Ted Koppel de s'être comporté moins en journaliste qu'en "diplomate itinérant mandaté par la Maison Blanche" (New York Times). On l'accuse d'avoir systématiquement défendu le point de vue du gouvernement américain (ce qui a apparemment plu aux téléspectateurs américains puisque pendant la guerre du Golfe, l'audience du journal d'ABC est passée pour la 1ère fois de son histoire devant celle de CBS).
Selon Le Canard Enchaîné, TF1 n'a pas eu à jouer des coudes pour obtenir des visas pour Bagdad... En effet, les Irakiens, satisfaits de l'interview de Saddam Hussein réalisée par PPDA pour TF1 le 9 juillet 1990 (TF1 était la dernière chaîne occidentale à réaliser une interview du Raïs avant l'invasion du Koweït), comptaient sur la première chaîne française pour développer leur propagande. C'est d'ailleurs Bagdad qui a proposé cette seconde interview à TF1. Patrick Le Lay, PDG de TF1, s'était cette fois-ci ouvertement opposé à l'envoi d'une équipe de sa chaîne en Irak. Par mesure de sécurité (risques d'attaque américaine, prise d'otages...). L'actionnaire de TF1, le groupe de BTP Bouygues, en aurait décidé autrement. Bouygues, très implanté en Irak, bénéficie de liens privilégiés avec Saddam Hussein (un bunker du Raïs irakien a d'ailleurs été construit par l'entreprise française...). Pour convaincre TF1, Francis Bouygues a même été jusqu'à prêter son Jet personnel à l'équipe de PPDA. Un voyage à Bagdad bénéfique et pour les Irakiens, en terme d'image, et pour TF1, en terme d'audience... C'est d'ailleurs à l'initiative de Bouygues que l'ambassadeur d'Irak en France a accordé 3 interviews sur le plateau de TF1 en 8 jours seulement... Au grand détriment des autres chaînes françaises.

Manipulés, de toute façon, les médias le sont. Et ils le savent. Durant le conflit, les Etats utilisent les chaînes comme une hotline, un téléphone rouge. Lorsque la télévision irakienne s'apprête à diffuser un message officiel, Bagdad prévient CNN à l'avance (quand ce n'est pas TF1...) pour que la chaîne câblée de Ted Turner établisse le relais en temps voulu. Du cousu main ! Les chaînes ne sont pas dupes, mais elles sont tenues par le devoir d'informer. Il y a donc bel et bien danger parce que la manipulation est partout. A des degrés divers évidemment. Jamais auparavant la télévision n'avait bénéficié d'une telle puissance de persuasion.
En décembre 1989, un sondage réalisé par Médias-Pouvoirs (6 mois après les directs intégraux de CNN depuis la place Tian'anmen, et quelques jours après la couverture médiatique de l'insurrection de Bucarest par La Cinq) montrait que 65% des Français considéraient la télévision comme le média le plus crédible…

Plus la télé est manipulée, plus on y croit ! Il y a comme un problème…


A l'occasion de ses 25 ans de présentation du journal télévisé, Patrick Poivre d'Arvor répond aux questions du bi-hebdomadaire TV Grandes Chaînes (paru le 22 octobre 2005) et de différentes vedettes de la télévision française. Extraits :

Question de TV Grandes Chaînes : "Vous avez déjà été un acteur de l'information, comme quand en 1990 vous enleviez un enfant d'Irak, caché dans un sac de sport, pour le sauver...
Réponse de PPDA : "
On m'a dit 'un journaliste doit rapporter des infos, pas des enfants'. J'avais trouvé ces propos terrifiants ; un journaliste, c'est d'abord un homme qui doit aller au bout de ses élans. Cet épisode m'a rendu heureux, surtout pour ses parents."

Question de Jean-Pierre Pernaut (présentateur du journal de 13h de TF1 depuis 1988) : "Quel est, pour toi, le plus grand de tous tes plus grands souvenirs de journal télévisé ?"
Réponse de PPDA :
"Ca va lui faire plaisir. Je dirais un dialogue avec lui dans son journal de 13h, après une interview de Saddam Hussein en Irak. Je me suis arrêté à Amman, en Jordanie, et lui ai longuement parlé. C'était un scoop dont on était fiers. Il n'a jamais dû prendre un direct aussi long : 10 minutes !"